BLOK 39

Novi Beograd est la « Nouvelle Belgrade ». Le plan se divise en bloks ; des routes surdimensionnées quadrillent la rive marécageuse de la Save : un Plan Voisin (1) sans qu’il fût nécessaire ici de raser des quartiers entiers pour ériger « la Modernité ». La ville historique est en face.

L’autoroute européenne E75 traverse ce paysage post-urbain composé d’immeubles aux silhouettes monumentales : forteresses de béton aux cimes crénelées, tours et barres aux dizaines de niveaux, gratte-ciel brutaliste, palais administratifs, complexes sportifs, produits d’un urbanisme mégalomaniaque radical — la première strate d’un décor à la Blade Runner (2) qu’il suffirait de remplir du capharnaüm d’écrans géants, de spinners et de cheminées d’usines pétrochimiques pour atteindre l’accumulation anxiogène d’une ville préapocalyptique.

Mais Novi Beograd n’est pas parvenue à ce degré de saturation. Les images des immeubles de logements perdus sur leurs gigantesques parcelles font plutôt penser à des monades urbaines (3) auxquelles on aurait oublié d’octroyer tous les services d’une vie sociale, obligeant les habitants à sortir de leurs cités dortoirs pour échapper au vide.

Les constructions récentes n’ont fait qu’ajouter des objets isolés sur cette carte distendue : centres mégacommerciaux, hôtels décomplexés, maisonnettes fast-foods, concessionnaires en tout genre, églises orthodoxes — une revanche sur un passé communiste pour finalement créer ce qui semble être devenu le lot commun de toute suburbanisation contemporaine.

Le Blok 39 de trois cent cinquante mètres de côté est bordé par l’E75, les courbes bétonnées de ses échangeurs et trois avenues automobiles de soixante mètres de large. Sur cette île aux frontières de bitume, une structure prend forme. Le terrain est découpé, subdivisé : une matrice invisible sur laquelle s’installe un pliage tridimensionnel comme si un énorme arachnide tissait sa toile pour protéger ses organes techniques
de toute retombée aérienne.

Sous ce ciel artificiel, les nouvelles fonctions du Centre de promotion des sciences se concentrent telles des pièces mécaniques reliées par un réseau d’alimentation commun. L’ajout ou la suppression d’éléments se fait sans perturber le système en place comme toute mise à jour d’une machine modulable. Les boîtes d’expositions ou le globe écorché du planétarium ne sont que les organes temporaires d’un corps permutant inachevé.

Tout se glisse sous les tentures au maillage variable. Cet accident visuel entaille le panorama monolithique des bloks — brisé en éclats. L’errance en dehors des chemins balisés redevient possible, échappatoire aux flux quadrillés de la ville nouvelle.

Le regard est capturé dans cet étrange paysage. La vue aérienne de cette installation arachnéenne fixe l’attention telle l’hypnose suscitée par un objet fractal. Novi Beograd est dans l’attente. Le togavirus implanté ici pourrait se propager, déborder des limites établies et recouvrir la cité tout entière.

(1) Le Plan Voisin est un projet dessiné par Le Corbusier pour le centre de Paris présenté au Musée des arts Décoratifs en 1925.
(2) Blade runner, film de science-fiction réalisé par Ridley Scott ,1982.
(3) Les monades urbaines, roman de science-fiction écrit par Robert Silverberg en 1971.

Avec N. Ryan






 

2018-05-05T17:06:14+02:00avril, 2011|Catégories : FIL, PROJETS|Mots-clés : , , |

BERLIN, HIVER 2010

 

La neige a recouvert la ville.
Des chemins sont tracés sur les trottoirs des larges avenues. Les lieux de passages de cette grande ville, pour un temps, rétrécissent.
Des grues surplombent l’horizon, incessante reconstruction…
La porte de Brandenburg se retrouve cernée. Elle n’est plus un monument isolé, elle clôt maintenant une place. Mais elle demeure le seuil qu’on franchit vers le Tiergarten- l’étendue totalement blanche. Les pieds s’enfoncent dans la neige, les chemins ne sont pas balisés. La ville devient un murmure de circulation au fur et à mesure de notre progression, avant le silence – un isolement dans la ville.
Les deux anciennes parties de Berlin, l’Est et l’Ouest s’inversent. L’une continue sa rénovation, l’autre, par son avance prise avant la réunification, se fige. Des quartiers se densifient à l’Est mais l’impression de vide reste.
À Potsdamer Platz, les tours montent jusqu’au ciel et se perdent dans la brume: habitats momentanément sans horizon. Le premier temps de la ville réunie est déjà dans l’histoire.
Le parcours continue. Les pas sont pressés mais prudents. Le froid allonge les distances…

Les vides sont remplis de neige.

 

 

 

 

 

Lieu : Berlin, Allemagne

Date : Janvier 2010

2017-04-26T21:21:58+02:00décembre, 2010|Catégories : FIL, PHOTOS, TEXTES|Mots-clés : , , , |